YENNAYER EN AFRIQUE DU NORD : HISTOIRE D’UN MOT



YENNAYER EN AFRIQUE DU NORD : HISTOIRE D’UN MOT
Par Samy HASSANI - Rédacteur indépendant

     Yennayer est un terme pan-nord-africain désignant le premier mois de l’année calculée selon le comput solaire dit julien1. Qu’on l’orthographie yennayer, ennayer, yannayer ou yannayr, ce terme est attesté aussi bien parmi les divers parlers amazighs qu’en arabe vernaculaire nord-africain, dans les régions du Tell comme dans les zones désertiques sahariennes. Cette unité remarquable d’un bout à l’autre de l’Afrique du Nord pousse à s’interroger sur les origines de la présence de ce vocable dans la région. Yennayer étant le premier mois du calendrier julien, sa présence en Afrique du Nord est nécessairement liée à celle de ce dernier. Afin de remonter aux origines de Yennayer, il est donc indispensable d’analyser l’histoire de ce calendrier et de ses modes d’introduction et de diffusion à l’échelle nord-africaine.


HOMOGEINITE BERBERO-ROMAINE
   
    Il s’avère donc que durant plusieurs siècles d’occupation romaine les fêtes d’Ianiarus, ancêtre de Yennayer, ont été célébrées en Afrique du Nord. Cependant, cela ne suffit pas pour présumer de la filiation directe de Yennayer avec l’Ianiarus romain. En effet, comme nous l’avons noté, Yennayer est connu dans toute l’Afrique du Nord, y compris dans l’extrême-sud du Sahara, chez les Touaregs (aujourd’hui Niger, Mali). Or ces zones n’ont jamais fait partie de l’empire romain et l’influence latine y était faible. De plus, on semble perdre la trace du vocable «Ianiarus» en Afrique du Nord après la chute de l’empire romain d’Occident. Saint Augustin est la dernière source latine africaine évoquant les calendes de Janvier. Ces célébrations ont probablement survécu à Rome, au moins dans certaines zones profondément romanisées, durant la période vandale (439-533) puis byzantine (533-711).
De fait, il existe en Afrique du Nord des traces anciennes de la célébration pendant cette période de la fête du Nouvel An romain, appelée «calendes de Janvier». Nous en retiendrons trois des plus significatives. C’est Tertullien (env. 150 – env. 230) qui nous fournit la première. De souche africaine, né et mort à Carthage, rigoureux Père de l’Eglise et premier théologien chrétien de langue latine, il s’est intéressé à la question des calendes de Janvier, ainsi qu’aux autres fêtes romaines préchrétiennes, au chapitre XIV de son ouvrage De l’idolâtrie, composé en 212.
S’adressant à ses coreligionnaires chrétiens (à l’époque encore minoritaires dans le monde latin), il déplore et condamne leur habitude de célébrer ces fêtes constitutives d’un ordre païen qu’il rejette radicalement.

YENNAYER ET L’ARRIVEE DE L’ISLAM

    Bouleversant toutes les habitudes, un système de croyance inédit, l’Islam, auquel va progressivement adhérer la majorité de la popul ation, s’établit en Afrique du Nord, porté par un système administratif neuf. Les conquérants musulmans amènent avec eux un nouveau calendrier liturgique et civil : le calendrier dit «de l’Hégire» (dont l’an 1 correspond à l’an 622 de l’ère chrétienne) ou «calendrier musulman». Exclusivement lunaire, ce calendrier comprend 12 mois et 354 jours (355 tous les 10 ans), soit 11 de moins que l’année tropique. Ce calendrier est déconnecté du rythme de saisons, qui dépendent du soleil. 
   Le premier jour et premier mois de l’année sont appelés Muharram. Aujourd’hui, les fêtes de l’Achoura (taâcurt en tamazight), de l’Aïd al Fitr (lεïd amezyan) ou de l’Aïd al Adha (lεïd amqran), calculée selon le comput musulman sont – tout comme Yennayer – célébrées dans toute l’Afrique du Nord.2
L’arrivée de la langue arabe et de la religion islamique a également provoqué un effondrement des centres de civilisation latine qui y subsistaient (sac de Carthage en 698). Dans l’état actuel des connaissances, les différents écrits des érudits arabes des premiers siècles de la conquête de l’Afrique du Nord ne mentionnent ni calendrier julien, ni Ianiarius, ni Yennayer.

   Cet élément supplémentaire s’ajoute au faisceau d’indices concordants énumérés ci-dessus,montrant que l’Andalousie médiévale constitue la source principale de la réintroduction du calendrier julien en Afrique du Nord ainsi que du vocable même de Yennayer. Cependant, le fait
que le calendrier agraire nord-africain ait intégré au fil du temps ces éléments latins revisités par
les savants andalous n’ôte en rien leur caractère proprement amazigh aux célébrations rituelles qui lui sont associées.3

Bibliographie :
1 DROUIN, Jeannine. «Calendriers berbères», Etudes berbères et chamito-sémitiques, Mélanges offerts à Karl G. Prasse, Louvain, Peeters, 2000, pp. 113-128
2 Jean-Claude PECKER. Rythmes du temps: Astronomie et calendriers, Louvain-laNeuve, De Boeck Université, 1999, 393 p.
3 «Yennayer en Afrique du Nord : Histoire d’un mot» par Yidir Plantade, article publié sur tamazgha.fr (http://tamazgha.fr/Yennayer-histoire-d-un-mot,2388.html) 

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